Les marchés publics au service de la cause sociale

Un guide sur les clauses sociales et sur la promotion de l’emploi dans les marchés publics, à l’intention des donneurs d’ordre a été publié afin de les inciter à utiliser davantage ces clauses.
L’Alliance Villes Emploi(1) en partenariat avec le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique a publié un guide sur les clauses sociales et la promotion de l’emploi en direction des donneurs d’ordre afin de les inciter à utiliser davantage les marchés publics en prolongement de politiques sociales locales.

LES CLAUSES DU CODE

Ce guide encourage les acheteurs publics à utiliser des clauses de promotion sociale présentent dans le code des marchés publics 2006, de façon rationnelle.
L’article 14 du code permet d’instaurer dans un marché public une clause d’insertion sociale et professionnelle. L’acheteur public qui lance un marché, peut donc imposer aux candidats présentant une offre de s’engager à « réserver une part des heures de travail générées par le marché à une action d’insertion ».

Ces clauses doivent cependant rester une condition d’exécution du marché et pas un critère d’attribution. Le tribunal administratif de Bordeaux, dans un arrêt de 2006 « commune de Begles »(2), a jugé que la présence dans les documents des marchés publics d’une clause dite de « mieux disant social » destinée à permettre à la commission d’appel d’offres d’évincer les entreprises soumissionnaires qui auraient recours aux « contrats nouvelle embauche » ou aux « contrats première embauche », est illégale.
Le guide va plus loin en osant une interprétation constructive des articles 53 et 5 du code.

Le pouvoir adjudicateur peut se fonder sur plusieurs critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché et notamment « les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté ». Pour les auteurs du guide, l’article 5 du code permet d’utiliser ce critère dans d’autres marchés que les marchés d’insertion.

La définition du besoin doit être effectuée au regard d’objectifs de développement durable. Ces objectifs peuvent correspondre notamment à une « conciliation entre le développement économique et le progrès social » : l’insertion sociale pourrait donc faire part des critères d’attributions.

Si un acheteur public s’engage sur cette voie, il devra faire le lien entre l’objet du marché et l’insertion, « en argumentant sur la dimension sociale de l’achat », être très « précis sur les exigences d’insertion attendues des entreprises » et enfin « faire un usage modéré et bien proportionné en terme de pondération du critère social ».

Ce dispositif est tout de même sujet à caution : n’oublions pas que dans l’arrêt de 2001 du Conseil d’Etat, « commune de Gravelines », le commissaire du gouvernement a rappelé que « la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût ».

Deux autres articles permettent aux acheteurs publics d’intervenir sur l’insertion sociale sur des marchés spécifiques. L’article 30 permet de passer des marchés d’insertion sociale par une « procédure allégée ». Le guide rappelle que la jurisprudence a admis que certains de ces marchés peuvent être passés « sans publicité préalable et même, éventuellement, sans mise en concurrence en raison de leur objet ou de situations répondant à des motifs d’intérêt général ».

L’article 15, enfin, prévoit la possibilité de réserver certains marchés ou certains lots aux travailleurs handicapés. Cette disposition trouve son origine dans l’article 19 de la directive européenne 2004/18/CE.
D’autres clauses permettent aux pouvoirs adjudicateurs de favoriser l’insertion sociale. Les articles 53 IV, 60 et 65 du code établissent un droit de préférence à certaines catégories d’entreprises. Ces dispositions ont été critiquées par la doctrine au regard du droit communautaire et du principe de l’égalité de traitement des candidats.

LES DISPOSITIFS ASSURANT L’EFFICACITE DES MESURES.

Lorsqu’un acheteur public souhaite utiliser les marchés publics pour prolonger sa volonté politique d’agir sur l’insertion sociale, il doit être conscient que les simples dispositions du marché ne suffisent pas.
Cet acheteur doit bien sélectionner les marchés dans lesquels il insert les clauses que nous avons vues précédemment.

En effet, le guide précise que l’instauration de ces mesures n’est pas pertinente dans tous les marchés. Dans un marché trop court, la perte de temps de l’entreprise en formation serait lourde à gérer pour elle, et la démarche d’insertion engagée serait inefficace. Ensuite, certains marchés ne se prêtent pas facilement à la formation ou à l’introduction, dans les entreprises, de personnes « rencontrant des difficultés particulières d’insertion ».

De plus, le pouvoir adjudicateur gagnerait à s’appuyer sur un chargé de mission local compétent pour gérer les clauses sociales. En effet, les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi(4) ou les maisons de l’emploi peuvent jouer un rôle important dans la réussite de la mise en œuvre de clauses sociales de par leurs connaissances et leurs compétences, en étant l’interface de coordination entre les différents acteurs. Ils peuvent collaborer avec les services techniques et juridiques pour participer à l’élaboration des clauses sociales, être à la disposition des entreprises candidates pour préparer « leur offre en matière d’insertion », «organiser avec les structures d’insertion par l’activité économique l’offre d’insertion susceptible de répondre à la demande des entreprises », …

Ces chargés de mission connaissent les différentes opérations qui ont eu lieu ou qui vont avoir lieu sur leur secteur. Ainsi, ils peuvent informer les acteurs des marchés publics des différentes formations déjà réalisées pour que ces derniers s’appuient dessus en se mettant en relation avec les structures locales d’insertion sociale. Ils peuvent également coordonner sur tout le territoire local différentes actions d’insertion pour les rationaliser, afin « d’impulser un dispositif unique et partenarial répondant aux attentes des différentes entreprises et consolidant des parcours d’insertion ».
Un autre avantage de faire appel à un chargé de mission est le suivi, plus efficace, de l’exécution des clauses sociales.

En effet, il existe trois modes d’exécution de ces clauses : l’entreprise peut faire appel à un sous-traitant dont objet social est l’insertion comme les structure d’insertion par l’activité économique, elle peut demander à un organisme d’insertion de lui fournir une liste de salariés pouvant correspondre à ses besoins, elle peut enfin engager directement des personnes auprès d’organisme d’insertion, pour la durée d’exécution du contrat.

Dans les trois cas, les chargés de mission locaux ont des contacts réguliers avec les entreprises et leur partenaire, et font des rapports au maître d’ouvrage qui pourra notamment appliquer une pénalité prévue dans le CCAP pour sanctionner tout manquement de l’entreprise au respect de ses engagements contractuels dans le domaine.

EXEMPLES CONCRETS

Afin de convaincre les acheteurs publics encore septiques, le guide contient une liste détaillée de différentes opérations qui comprenaient au moins une clause d’insertion et qui ont été des succès tant sur le plan de l’opération en elle-même que sur le tissu social local. Plusieurs de ces opérations ont « enclenché une dynamique de partenariat » entre les différents acteurs de la commande publique et ceux de l’insertion sociale. Cette dynamique se traduit par différents procédés.

Dans certaines régions, le succès d’une telle opération a entraîné une « contamination » d’insertion de clauses d’insertion sociale. Parfois, des chartes locales ou même départementales de promotion de l’emploi par la commande publique ont vu le jour. Dans d’autres cas, des acheteurs publics ont ciblé des marchés afin d’en faire « un support d’activité pour des marchés de service d’insertion et qualification relevant de l’article 30 et est attribué à une entreprise d’Insertion ».

Si l’utilisation de clauses d’insertion et de promotion sociale a un effet très positif sur le tissu social local, les acheteurs publics doivent cependant faire attention à ne pas abuser de cette solution. Ils risqueraient d’aboutir à une rupture de l’égalité dans le traitement des candidats et d’être sanctionné immédiatement par le juge, ce qui pourrait dissuader tous les acheteurs publics d’employer ces clauses.

(1) l’AVE a été créée en 1993. Il s’agit d’un réseau constitué des « Maisons de l’Emploi et des PLIE, regroupant des communes de toutes tailles, des intercommunalités, des élus, sur le thème de l’emploi, de la lutte contre le chômage et l’exclusion ».
(2) Tribunal administratif de Bordeaux n°061563 du 5 décembre 2006 – Commune de Begles
(3) CE 25 juillet 2001 Commune de Gravelines, n° 229666.
(4) Les PLIE sont des services d’accompagnement à l’emploi. Ils ont pour objectif l’accueil et l’accompagnement personnalisé de longue durée des demandeurs d’emploi en difficulté d’insertion afin de les aider à trouver un emploi durable.