Quel avenir pour le contentieux des marchés publics ?

La nouvelle directive « recours » ne va pas restreindre le nombre des contentieux en marchés publics, au contraire. Dans le souci de réduire ces volumes, la transaction pourrait être « redécouverte ».
Le projet de directive relatif aux recours des entreprises évincées, dans le cadre des marchés publics, a été adopté par le Parlement européen.

Certains s’interrogent sur les conséquences de ce texte et notamment sur le contentieux indemnitaire qui risque « d’exploser ». Rapide et peu coûteuse, l’utilisation de la transaction pourrait avoir plus de succès dans les temps qui viennent.

LE PROJET DE LA DIRECTIVE RECOURS

Afin de renforcer le dynamisme de la concurrence dans les marchés publics de l’Union, la Commission européenne a rédigé un projet de directive relatif aux droits des entreprises évincées. Le Parlement européen a adopté récemment ce texte en première lecture.

Dans le préambule, la Commission fait état d’un « certain nombre de faiblesses » dans les recours existants en application des directives 89/665/CEE et 92/13/CEE. Ainsi, les mécanismes nationaux « ne permettent pas toujours de veiller au respect des dispositions communautaires, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées ».

Pour remédier à cet état de fait, le projet impose un délai suspensif de dix jours entre l’attribution du marché et sa signature, pour permettre aux concurrentes évincés « d’examiner la décision, et d’évaluer s’il y a lieu d’engager un recours ». Le code des marchés publics 2006 prévoit déjà ce dispositif pour les procédures formalisées. En cas de non respect de ce délai, le juge n’aura d’autre choix que d’annuler le marché conclu en le déclarant « sans effet ».

La même solution devra être appliquée pour des marchés passés de gré à gré ou pour ceux qui auront été conclus en méconnaissance des règles de transparence ou de concurrence. Toutefois, pour des raisons « impérieuses d’intérêt général de nature non économique », un tel marché pourra être maintenu. Cependant, des sanctions devront tout de même être prononcées.

Cet aménagement est lié aux « circonstances exceptionnelles de l’espèce » : il a pour but de respecter le principe de la proportionnalité des sanctions. De plus, pour les marchés découlant d’un accord-cadre et les systèmes d’acquisition dynamique, le délai de dix jours peut être remplacé par une procédure d’examen post-contractuel pour conserver l’esprit de ces procédures basées sur la rapidité.

Par ces mesures, les entreprises seront certainement « rassurées » sur le respect de leurs droits de recours et seront donc incitées à présenter davantage de candidatures aux appels d’offres dans l’Union Européenne. Cependant, de nombreux pouvoirs adjudicateurs considèrent déjà que certaines entreprises abusent de leurs moyens d’action. Beaucoup de personnes publiques déplorent la réussite de recours contre leurs marchés pour des détails et leurs conséquences qu’elles estiment parfois disproportionnées. La directive risque d’accroître cette tendance.

LA TRANSACTION : UNE ALTERNATIVE AU CONTENTIEUX

Le contentieux des marchés publics ne cesse de se développer. Cette augmentation risque de faire perdre de l’efficacité au contrôle juridictionnel : le temps risque de manquer aux juges pour pouvoir examiner toutes les demandes. Étant dans une période de changement, pourquoi ne pas encourager davantage la conciliation, même au niveau communautaire ?

Un recours devant une juridiction est toujours une épreuve difficile pour les deux parties alors que la recherche du consensus est en général mieux vécue.

Ce désintérêt, voir la crainte, pour ce type de procédure est notable au niveau national alors même que la procédure existe et a été encadrée par le Conseil d’État. En effet, dans son avis du 6 décembre 2002(1), le Conseil considère qu’il est possible de demander au juge administratif d’homologuer une transaction dans le cadre de la commande publique.

« Dans l’intérêt général, lorsque la conclusion d’une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation, ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières. Tel peut notamment être le cas en matière de marchés publics et de délégations de service public ».

Il faut tout de même relativiser : la transaction pourrait être davantage utilisée, mais elle doit être maniée avec précaution.

LES MODALITÉS DE LA TRANSACTION EN FRANCE

La faible utilisation de la procédure de transaction peut s’expliquer notamment par les conditions de sa mise en œuvre. Le juge vérifie que l’objet de cette transaction est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public. Si une de ces conditions n’est pas remplie, la non-homologation entraîne la nullité de la transaction ». Cependant, cette homologation n’est pas obligatoire et c’est cette liberté d’action qui fait peur aux personnes publiques.

La personne publique ne peut pas transiger dans tous les domaines : elle ne peut pas altérer les règles de droit public. Aucun contrat ne peut donc être conclu pour transiger sur l’exercice de prérogatives de puissance publique ou sur l’émission d’un acte administratif par exemple.

De plus, la transaction doit avoir pour objet le règlement ou la prévention d’un litige. Ainsi, une transaction correspond à un compromis où chacun doit obtenir un avantage. Le contrat conclu ne peut pas « condamner » une des deux parties : une transaction ne peut pas avoir pour objet une renonciation unilatérale à un droit. L’article L. 2131-10 du CGCT va dans le même sens en interdisant aux communes de renoncer « directement ou par une clause contractuelle, à exercer toute action en responsabilité à l’égard de toute personne physique ou morale qu’elles rémunèrent ».

Les parties doivent également être confrontées à un véritable litige : la transaction ne peut pas être utilisée pour contourner des dispositions du code des marchés publics par exemple, ce qui constituerait un détournement de procédure.

Enfin, une transaction ne doit pas correspondre à une libéralité. Cette condition a été consacrée par l’arrêt du Conseil d’État du 19 mars 1971, Sieur Mergui : « les personnes morales de droit public ne peuvent être condamnées à payer une somme qu’elles ne doivent pas ».

C’est sans doute cette condition qui explique la crainte suscitée par la transaction. En effet, les ordonnateurs et les comptables publics sont toujours réticents à payer une somme dont le montant est laissé à la libre appréciation des parties au contrat. Le juge est sévère en la matière :

« une disproportion manifeste entre l’indemnité fixée et le préjudice que cette transaction a pour objet de réparer suffit à faire regarder ladite transaction comme une libéralité ».

Cependant, l’homologation du juge permet de rassurer tout le monde sur le caractère légal de la transaction et sur l’estimation de l’indemnité à verser.

En l’état actuel du droit, la Commission européenne considère que les mécanismes de recours nationaux ne sont pas suffisamment efficaces, le dispositif prévu par le projet sera plus performant. Il va probablement augmenter le volume contentieux, ce qui encouragera peut être les personnes publiques à se tourner davantage vers la procédure de transaction.