La sentence est tombée, le Conseil d’État a rendu son arrêt sur la légalité du code des marchés publics 2006 : la majorité des recours a été écartée sauf pour les dispositions relatives aux PME.
Le Conseil d’État a rendu son arrêt concernant la légalité du code des marchés publics 2006 et de la circulaire du 3 août 2006, ce lundi 9 juillet.
Rappelons pour information que parmi les requérants se trouvaient notamment l’association belge de grands travaux et des associations italiennes. Ayant dû examiner 10 requêtes, le Conseil a décidé de suivre les conclusions du commissaire du gouvernement.
LES MOYENS RELATIFS À LA DISCRIMINATION
Plusieurs des requérants ont attaqué l’article 10, qui pose l’allotissement des marchés comme principe de base, pour discrimination sur la taille des entreprises candidates. Le Conseil rejette ce moyen : le but de ce dispositif est de dynamiser la concurrence en élargissant le nombre de candidats. Il ne réserve pas de marché ou de lot à une catégorie d’entreprises, « les entreprises générales sont aptes à soumissionner pour l’ensemble des lots d’un marché ». De plus, lorsque ce mécanisme semble contreproductif, le pouvoir adjudicateur passe un marché global : l’acheteur public, en appréciant la situation, doit conserver l’esprit du texte.
Un autre moyen était dirigé contre l’article 48 qui permet au pouvoir adjudicateur de « demander aux candidats d’indiquer dans leur offre la part du marché qu’ils ont l’intention de sous-traiter à des tiers ». D’après le Conseil, ce texte ne donne pas la possibilité d’insérer un critère de sélection des offres : « il permet uniquement au pouvoir adjudicateur d’obtenir des informations sur la sous-traitance du marché envisagé ».
Cette argumentation du Conseil d’État n’est pas totalement convaincante. Pourquoi demander un tel renseignement si ce n’est pour évaluer l’offre d’un candidat ?
Nicolas Boulouis, commissaire du gouvernement, avait rappelé dans ces conclusions que la personne publique ne doit demander que des informations utiles pour juger les candidatures et les offres. Il est vrai que ces données peuvent permettre au pouvoir adjudicateur de mesurer le sérieux d’une offre en comparant les capacités des concurrents avec les caractéristiques du marché à attribuer. Cependant, est-il absurde de dire que ces informations risquent d’influencer fortement les décideurs suivant leurs politiques économiques ou sociales et ainsi créer un critère de sélection ?
Les requérants ont ensuite demandé l’annulation des articles 60, 65 et 67 du code « ainsi que les dispositions de la circulaire y afférentes, en tant seulement que ces dispositions favorisent les petites et moyennes entreprises ».
Elles permettent de fixer un nombre minimal de petites et moyennes entreprises admises à présenter une offre lors d’une procédure d’appel d’offres restreint, d’un marché négocié et d’un dialogue compétitif. Le Conseil a suivi le commissaire du gouvernement qui avait donné raison aux demandeurs sur ce point. Il s’agit d’un véritable critère de sélection, correspondant à la forme de l’entreprise candidate et donc il « n’est pas toujours lié à l’objet du marché ».
Ainsi, il « revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d’égal accès à la commande publique ».
Il ne faut surtout pas rapprocher cette problématique de celle de l’article 15 du code. Ce dernier permet de réserver des marchés ou des lots à des entreprises adaptées. La spécificité de ses structures ne leur permet pas souvent de faire jeu égal avec des entreprises du secteur concurrentiel.
Cette situation est différente de celle d’une PME. Cette dernière évolue dans le secteur concurrentiel et sa seule particularité est sa taille : dans une logique de concurrence, il n’existe pas de raison de favoriser ces entreprises.
LES MARCHÉS DE PRESTATIONS DE SERVICES JURIDIQUES
Parmi les requérants, les avocats étaient représentés, notamment par l’Ordre des avocats de Paris. Il a tenté de convaincre le Conseil que les prestations juridiques ne devaient pas être soumises au code. Pour se faire, il a fait feu de tous bois. Il a invoqué le respect du secret professionnel, l’incompatibilité de l’indépendance des avocats avec « la qualification de contrat administratif des marchés de services juridiques », la violation de « l’article 15 du décret du 12 juillet 2005 qui interdit aux avocats toute offre de service personnalisée adressée à un client potentiel », la méconnaissance du principe de la libre négociation des honoraires des avocats. Aucun de ces arguments n’a convaincu l’autorité administrative.
Cette position est loin d’être surprenante.
L’Ordre des avocats de Paris a toujours estimé que les prestations des avocats ne devaient pas constituer des marchés publics de services. Dès 1999, le Conseil d’État avait rejeté un recours de l’Ordre dirigé contre l’article 5 du décret du 27 février 1998 modifiant le code des marchés publics. Il assujettissait « au régime des marchés négociés après mise en concurrence les marchés de services ayant pour objet des services juridiques ». Cet organisme avait également demandé « l’annulation du décret du 7 mars 2001 portant code des marchés publics » : l’objectif était toujours le même, mais le juge administratif a rejeté son recours.
LE DOMAINE DE COMPÉTENCE DES ENTITÉS ADJUDICATRICES
Parmi les autres moyens importants qui ont été soulevés, figurent ceux dirigés contre les articles 135, 138 et 139 du code ainsi que les dispositions de la circulaire correspondantes. Ces articles définissent le champ d’application de la deuxième partie du code relative aux entités adjudicatrices.
L’article 135 définit la notion d’activité d’opérateur de réseau comme l’exploitation de réseaux et le fait de mettre l’infrastructure constituée par ces réseaux à la disposition d’un exploitant. Ainsi, le Conseil considère que le code transposait simplement la directive. Cependant, il en va autrement des dispositions de la circulaire. En effet, le point 16.1.1 de cette dernière a ajouté aux deux hypothèses du code, celle par laquelle « une personne publique confie à un tiers l’exploitation d’un des réseaux fixes ».
Le Conseil, toujours en adéquation avec les conclusions du commissaire du gouvernement, a annulé ces dispositions. Selon l’article 134, « les entités adjudicatrices sont les pouvoirs adjudicateurs définis à l’article 2 lorsqu’ils exercent une des activités d’opérateurs de réseaux énumérées à l’article 135 ». Ainsi, il faut que les acheteurs publics exercent une activité d’opérateurs de réseaux, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils confient à un tiers l’exploitation d’un des réseaux fixes.
Les requérants ont enfin attaqué les articles 138 et 139 qui définissent les hypothèses dans lesquelles les dispositions de la deuxième partie du code ne sont pas applicables. Les dérogations posées par le code « excèderait le champ d’application des dispositions prévues par la directive » et entrainerait aussi une rupture du principe d’égalité. Le Conseil d’État considère que le code ne fait que transposer la directive et rappelle que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes »
Ainsi, seules ont étés annulées les dispositions du code relatives à la possibilité de fixer un nombre minimum de PME à déposer une offre pour un marché : elles créent de fait un critère de sélection discriminatoire.
Cette solution risque de fragiliser la position de Christine Lagarde, ministre des finances, de l’économie et de l’emploi, qui milite actuellement en faveur d’une « discrimination positive » pour ces entreprises. Cependant, la sortie par le haut dans ce domaine serait d’obtenir, au niveau européen, une dérogation dans le cadre de l’Accord sur les Marchés Publics de même nature que celle précédemment obtenue par les Etats-Unis avec le Small Business Act qui permet de réserver une part de la commande publique aux PME. Tel est l’enjeu des négociations qui se déroulent actuellement dans le cadre de l’OMC.